Pascal Bazilé

2025.

Une rétrospective, ou presque
En 2025, Là Galerie Marciac rouvre pour la belle saison, en particulier pendant le festival de jazz de Marciac qui draine à lui seul quelque 250 000 festivaliers en trois semaines. Ils seront sans doute nombreux à venir découvrir (ou redécouvrir) l’œuvre de l’artiste qui occupe cette fois l’intégralité de la galerie : Pascal Bazilé.
Sous le simple titre « L’atelier de Pascal Bazilé », la quasi-rétrospective de la carrière de cet artiste, né en 1957 en région parisienne, met en lumière la cohérence d’un parcours au-delà de la multiplicité des thèmes et des médiums abordés au fil des décennies. Bazilé avance en creusant son chemin série après série, chacune d’elles articulant un sujet avec une technique ou une combinaison de techniques. Plusieurs de ces ensembles sont présentés à Là Galerie, depuis les paysages ferroviaires de la fin des années 1980 jusqu’aux dessins et peintures les plus récents, comme la série des Poireaux, de 2024, allongés tels des gisants en vert et blanc sur le plat de la page, ou Les Os (2025) dont les formes brossées au crayon hésitent entre sculpture et outillage.
Distants d’une trentaine d’années et plus, ces travaux témoignent d’une maîtrise du dessin à laquelle Pascal Bazilé n’a jamais tourné le dos. En marge des modes et des diktats qui orientent certains courants artistiques, il revendique la science de la main et la capacité de l’artiste à représenter le monde, à le transporter ou le transposer sur le papier. Ainsi, les motifs ferroviaires des années 1990 dressent-ils des caténaires, des signaux de circulation et des outils de voirie en hauts totems charbonneux tracés sur toutes sortes de papiers, journaux, livres de comptes, annonces… Leur volumétrie soigneusement étudiée les destine à devenir des sculptures, que Pascal Bazilé réalisera d’ailleurs en 1993 dans Le Monde fanfare.

Des ports et des poireaux
S’ils encadrent chronologiquement l’exposition, Les Paysages ferroviaires, Les Poireaux et Les Os condensent également deux thèmes essentiels dans la poétique de Bazilé. D’un côté, les objets les plus humbles et les plus banals du quotidien, motifs propres au genre de la nature morte, comme les poissons et les navets qu’il synthétise en tracés noirs du pinceau et aplats géométriques colorés. Sur un tout autre versant, il est également fasciné par les gares, les ports et les paysages industriels. Il ne cesse par exemple de revenir vers Le Havre, dont il donne encore des représentations en 2024. Présente dans l’exposition sous le titre Sur les Docks, la série égrène des vues panoramiques de grues, de containers, de chariots et de treuils striant, tels des graphes sibyllins, des fonds roses, ocre ou gris. Tout en prenant appui sur les recherches qui l’ont précédé, celles d’un Dufy, d’un Delaunay ou d’un Bissière, ces alphabets tracés au noir participent également d’une inspiration venue des arts graphiques, secteur professionnel dans lequel le peintre et dessinateur exerça plusieurs années durant. Plus sculpturale, la série Chantier naval du Havre (2024) découpe des formes géométriques pleines dans des aplats de couleurs.
Peintre « industriel », Pascal Bazilé se montre également sensible à certains paysages de campagne. En 2021, alors qu’il venait de s’installer dans le Gers, il est parti sur les chemins de l’Astarac, au sud du département, en quête de la morphologie et des couleurs propres à la région. Des collines dessinent leur dos de moutons piquetés d’arbres alignés et de boisements sombres, sur des fonds de terre rouge ou brune. En 2023, une autre série, Mémoire de lieux ordinaires, rassemble les souvenirs émotionnels et visuels des balades de l’artiste entre sous-bois et chemins creux. Hier, dans l’est et le nord de la France, là où ont eu lieu les plus meurtrières des batailles des guerres mondiales, ou dans les Cévennes, aujourd’hui en Gascogne, il ne rentre jamais de ces promenades en solitaire sans avoir engrangé quelques-unes de ces vues broussailleuses qu’il retranscrit sur papier au fusain et au tampon métallique.

Traces et tracés
Aux côtés de ces dizaines de petits formats, peintures et dessins qu’il produit sans discontinuer, indispensable exercice quotidien de l’œil et de la main, Pascal Bazilé présente également, dans les amples espaces mis à sa disposition, quelques œuvres de grand format. Entre 2013 et 2019, il se consacrait à la série des Blind Spots, adoptant un procédé unique et singulier. Des heures et des jours durant, Bazilé traçait des gammes répétées de lignes aux couleurs primaires sur autant de films transparents, qu’il superposait et décalait ensuite afin de dégager la persistante image rétinienne se trouvant à leur origine : éclat des amandiers en fleurs, miroitement des lamelles métalliques d’un store dans la lumière d’un après-midi d’été, bigoudis entortillés dans les cheveux maternels… Parfaitement abstraits à première vue, ces tableaux qui allient couleurs, transparences et profondeur, reposent donc sur des souvenirs intimes et des émotions visuelles que l’artiste cherche à transformer en émotions plastiques. Inspirés des « passes » par couleur de l’imprimerie, ces Blind Spots constituent l’un des sommets en même temps qu’un unicum dans le parcours de Pascal Bazilé. Ils laissent aussi entrevoir l’étendue, la variété et les multiples étapes d’un parcours qui n’a cessé d’explorer les ressources infinies du tracé manuel, ce geste premier de l’art visuel depuis la nuit des temps.

Dominique Crébassol